Le droit à la ville en période d’austérité

Publié le par Sylvain B.

En Grèce, la résistance à l’austérité prend la forme d’une mosaïque de luttes pour un droit à la ville conçu comme l’auto-détermination collective de la vie quotidienne. Il est facile, lorsque l’on parle de la Grèce et de « la crise », de tomber dans le piège de « l’exception grecque ». Après tout, c’est par l’essentialisation du discours orientaliste que l’on a justifié l’austérité et les ajustements structurels : les Grecs sont corrompus, paresseux et enclins à la crise, et doivent être adaptés et civilisés pour leur bien. Il y a aussi le revers à ce regard orientaliste, qui leur reconnait des ressources extraordinaires : les Grecs ont en abondance collectivisme, zèle révolutionnaire ou solidarité, ce qui les rend plus à même de s’organiser et de résister. Ces deux discours nous empêchent toutefois de voir que les conditions qui ont amené à la crise grecque sont courantes dans de nombreuses parties du monde, que le capital s’oriente vers des politiques d’exclusion et de dépossession, même en son centre, et que la résistance n’incombe pas seulement aux pays du Sud mais va, sous peu, être la seule réponse raisonnable, même au Nord. En fait, la « crise grecque » n’est ni « grecque » - puisque ce n’est qu’un symptôme de la mutation du capitalisme mondial vers un régime d’accumulation, basé sur le choc et la dépossession – ni une crise au sens propre du mot, à savoir un événement extraordinaire. Au contraire, elle représente une nouvelle normalité qui menace de bousculer les fondements mêmes de la coexistence sociale. Cependant, la Grèce a été un endroit privilégié pour observer comment ce changement de paradigme au niveau mondial se joue à l’intérieur des frontières d’un seul État-nation. Pour comprendre les mécanismes intrinsèques d’un régime d’« accumulation par dépossession », nous devrions porter notre analyse non seulement au niveau macroéconomique, sur les traités, les élections, les référendums, les manifestations et autres événements spectaculaires, mais aussi – et surtout – au niveau microéconomique de la vie quotidienne dans la ville. L’espace urbain est toujours une cristallisation de plus larges relations de pouvoir ; il est constamment façonné et refaçonné par les pouvoirs politique et économique qui visent le contrôle des populations qui y habitent, leur exploitation ou leur exclusion, tout en limitant leurs capacités d’émancipation. Cependant, l’espace urbain peut également devenir ce lieu de coexistence où des liens sociaux et des communautés se forment et où émergent les communs. En fin de compte, la ville peut devenir un lieu de résistance et d’autodétermination, un lieu d’inclusion ; inclusion non seulement dans le sens de droits formels accordés par une instance de pouvoir, mais dans le sens de la pleine participation de toutes les identités et de tous les sujets dans la vie politique, économique et sociale. L’appropriation illicite des terres, les travaux d’infrastructure inutiles, la gentrification et le renouveau urbain, la marchandisation des besoins humains fondamentaux tels que l’accès au logement, à la nourriture, à l’eau et à la santé, les expulsions et les déplacements forcés, la xénophobie, la militarisation et l’augmentation de la surveillance sont les éléments centraux de la politique de dépossession appliquée dans l’espace urbain au détriment des classes populaires. La résistance à ces politiques a pris la forme d’une mosaïque de luttes pour un « droit à la ville » qui se conçoit non pas en terme de garantie de ressources ou d’opportunités individuelles, mais comme une affirmation de l’autodétermination collective de la vie quotidienne.

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