La prostitution masculine à Cuba

Publié le par Sylvain B.

A Cuba, la situation des homosexuels et transsexuels a beaucoup évolué depuis vingt ans, sur fond de prostitution masculine. Reportage à la Havane avec les pingueros, ces hommes qui vendent leur corps aux touristes, expatriés ou riches cubains. L’histoire d’Angeli Carmen est singulière et douloureuse. À treize ans, celle qui ne s’appelait alors pas Angeli, mais Angeluis laisse ses pantalons au placard pour sortir en robe sur le Malecon, l’avenue emblématique de la capitale cubaine. Elle se fait pincer par son père, militaire. « Il m’a foutu une grosse raclée. Un pistolet appuyé sur mon front, il m’a menacée et m’a jetée dans la rue. » L’adolescente se retrouve dehors et se prostitue pour se nourrir. « Lorsque Cuba a commencé à s’ouvrir au tourisme, dans les années 1990, c’était un gagne-pain comme un autre de cavaler sur le Malecon » se souvient-elle. Aujourd’hui, Angeli travaille au CENESEX, le centre d’éducation sexuelle cubain, qui défend notamment les droits LGBT. Sa boss n’est autre que Mariela Castro, fille du président Raoul Castro et de Vilma Espin, une révolutionnaire. Grâce à son appui, Angeli a été l’une des premières personnes à changer de sexe à Cuba, en 2007. La situation des homosexuels et des transsexuels a sensiblement changé depuis une vingtaine d’années dans le pays. « Avant je me faisais constamment frapper dans la rue, la police était complice évidemment. », se souvient Angeli. Dans les années 1990, un homme était passible de six à neuf mois de prison s’il s’habillait en femme. Depuis cette année, Cuba célèbre la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai. En apparence donc, les mœurs ont évolué. Pour Angeli, c’est surtout grâce au CENESEX et à Mariela Castro qu’elle a pu s’accepter, sortir de la misère et vivre pleinement sa transexualité : « On se sent protégée et surtout intégrée et utile. » Reprise d’études, diplôme de psychologie : pour elle, les souvenirs du tapin sont loin. Mais sur le terrain, chaque semaine, elle va à la rencontre des hommes et des femmes, souvent très jeunes, qui n’ont pas eu sa chance. « On essaye de leur trouver un toit, de les sensibiliser et de peu à peu les faire venir à des réunions du CENESEX pour les sortir de là. » Les lieux de la prostitution masculine sont clairement identifiés à la Havane. En se promenant sur le Malecon, on arrive à Bim Bom, au dessous de l’hôtel National de Cuba. Là, tous les soirs, aussi bien en semaine que le week-end, des centaines de jeunes s’amassent, boivent et discutent tandis que d’autres se prostituent. Dans un autre quartier de la capitale, à deux pas de la place de la Révolution et des portraits géants du Che et de Fidel, les hommes se retrouvent un peu plus tard au cafe cantante. Dans les sous-sols du Théâtre National de Cuba, un mélange de transpiration et d’odeur de parfum bon marché pique le nez. Les clients assistent à des shows de travestis à la mode des années 1990, ou sirotent des mojitos au rythme de la musique électronique. Là, les pingueros font des rondes. Ces hommes, qui vendent leur corps pour quelques euros aux Cubains, mais pour une trentaine d’euros aux touristes, sont souvent originaires des campagnes et viennent à la ville en espérant sortir de la misère. Dans les années1990, Angeli Carmen se souvient avoir animé des shows, moitié travesti, moitié porno, dans des cabarets clandestins de La Havane. « C’était un moyen de se faire un peu d’argent, sans avoir à se prostituer. Mais quand il n’y avait pas assez de spectacles, je recommençais le tapin. » Mais aujourd’hui, ces spectacles sont de moins en moins courants, et les jeunes commencent presque toujours par se prostituer. A l’abri des regards, il existe d’autres lieux de la prostitution masculine dans la capitale. A l’ombre d’un parasol rouillé, Matthieu reluque des jeunes hommes qui défilent sur le sable blanc : « Regarde, elle est pas mal, celle-là, je me le ferais bien ! » Ce français est à Mi Callito, une plage carte postale à trente minutes de La Havane. Il s’y rend tous les samedis en Chevrolet décapotable, louée pour une soixantaine d’euros la journée avec chauffeur. Sur cette plage gay se prélassent quelques riches cubains, expatriés ou touristes, alignés sur des transats ou en cercle dans l’eau transparente, bouteille de Havana club à la main. Des haut-parleurs de fortune accrochés sur les parasols crachent quelques notes de rumba. Plutôt tranquille en début de journée, la plage se transforme à partir de quinze heures. L’alcool coule à flot, les pupilles se dilatent, les visages suent. C’est lorsque le rhum mélangé au soleil de plomb saoule la faune de Mi Callito que le show des pingueros commence. Au bord d’une eau cristalline, ils défilent, torse bombé, et lancent des regards aguicheurs à leurs potentiels clients. Ils ont entre quinze et quarante ans. Certains viennent barboter à côté des hommes déjà dans l’eau, d’autres se font inviter à prendre un rhum sur les transats. Matthieu est arrivé à Cuba il y a cinq ans. Il a monté son business dans la restauration et est peu à peu devenu un habitué de Mi Callito. « Au début, je me ramenais toujours des pingueros de la plage. Tiens, celle-là, braille-t-il en désignant un garçon d’une vingtaine d’années, elle me plaisait à l’époque. Bon, au bout d’un moment, tu te calmes un peu. » Effectivement, ce jour-là, il rentre seul.
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